mercredi 4 mars 2009

Hier encore j’avais 20 ans
Chedly Belkhamsa (dessinateur de presse)
Ils sont si bons ses «sandwichs» !
Son don et son métier consistent à tout tourner en dérision, y compris ses propres dessins qu’il qualifie de « sandwichs ».
Chedly Belkhamsa à qui nous devons entre autres les personnages de la famille « Labib » est l’un des rares et des plus connus dessinateurs de presse dans notre pays. Depuis presque quarante ans, ses caricatures et ses dessins animent les couvertures et les colonnes des publications tunisiennes, La Presse en particulier.
Entre notre journal et lui, c’est d’ailleurs une longue histoire. Et comment ! C’est là qu’il a passé une bonne partie de sa vie, travaillé avec treize de ses directeurs, gravi tous les échelons : de simple pigiste à rédacteur en chef artistique jusqu’à… sa retraite, l’année dernière. Mais cette histoire d’amour continue encore.
Mais, Chedly Bekhamsa ne se résume pas seulement à ça. Il est également bédéiste, maquettiste, affichiste, scénographe, cameraman, monteur et peintre. Bref, un artiste pluridisciplinaire. Qui dit mieux ? Cerise sur le gâteau, un homme sympathique…
Chedly Belkhamsa, 1971...
... et aujourd'hui

De toute évidence et quoi qu’on fasse, on ne peut pas forcer le destin. Soit on est artiste, soit on ne l’est pas. «Au plus loin où ma mémoire m’emmène, j’ai le vague souvenir que je dessinais», évoque notre invité. A nous demander s’il n’est pas né un crayon ou un bout de craie à la main. Dessiner est donc pour lui comme pour tout vrai artiste, un don inné, un don «esquissé» dans ses gènes. Mais Chedly Belkhamsa n’a pas laissé ce talent à l’état brut ; il l’a affiné, développé et raffiné. «J’apprends chaque jour de nouvelles choses. Je lis, je vois, j’entends en continu», dit-il. Et de renchérir : «Tu peux apprendre comment mieux aimer ce métier, mais pas comment l’aimer».

Un parcours original

A l’écouter parler de son parcours et de ses multiples activités, on se rend compte que la nouvelle génération d’artistes doit s’estimer heureuse. C’est que son statut n’est guère celui qui prévalait, il y a trois ou quatre décennies. La société traditionnelle était très réticente, voire intolérante quant à l’appartenance au domaine artistique. Le métier d’artiste n’était pas du tout bien vu, surtout qu’il ne garantissait pas un revenu fixe. «Artiste» avait une connotation péjorative et rimait donc souvent avec bohémien ou marginal. Si Chedly Belkhamsa en sait quelque chose. Il en a même bavé. En effet, ses parents refusaient catégoriquement qu’il passe le concours d’entrée à l’Ecole des beaux-arts de Tunis. Obstiné, il a dû y passer sept mois en cours libres, période pendant laquelle il a côtoyé étudiants et professeurs, noué des amitiés… Sa persévérance a donné ses fruits. Ses parents ont fini par accepter qu’il passât le concours, mais en exigeant qu’il étudie l’architecture. Pas question pour eux d’arts plastiques ! Alors? Et bien, soutenu par feu Habib Chebil, le jeune Chedly a intégré l’Ecole des beaux-arts sans passer d’épreuve, à la section arts plastiques… envers et contre tous. Il y passera deux ou trois ans.

Véritable bosseur, il a commencé, en cours de route, à travailler comme chef magasinier dans une grande usine de produits chimiques! A vrai dire, la rémunération était très alléchante : 90 dinars par mois alors qu’un ingénieur n’en touchait à l’époque, que 36. De plus, il a eu largement le temps de se consacrer à sa passion. Il a, en effet, transformé -presque secrètement- l’arrière boutique en un grand atelier dans lequel il s’adonnait au dessin, à la sculpture et à la gravure ! Et entre temps, il apprenait le métier de cameraman et de monteur au sein de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs.

Mais cinq ans après, il présenta sa démission, contre vents et marées et, encore une fois, en dépit de l’opposition de son entourage. Il avait vingt six ans. Il rejoindra aussitôt le ministère de l’Agriculture, au service de la vulgarisation agricole. Il y réalisera près de 400 films d’information et de sensibilisation sur pellicule noir et blanc, qui passaient chaque vendredi après midi sur la chaîne de la télévision nationale. Encore une fois, pendant cinq ans.

Sur la terrasse d’un café, tout a commencé…

Plasticien à l’origine, Chedly Belkhamsa, ne se savait pas ce don pour le dessin humoristique. Il y est venu au fur et à mesure, presque par hasard. Pendant la guerre d’octobre, le journaliste feu Mohamed Mahfoudh lui a demandé de faire une illustration sur le sujet pour La Presse. Le dessin, esquissé dans un café, plut et fut publié. Cela incitera le directeur du journal de l’époque, M. Amor Belkhiria, à engager notre invité comme pigiste, à…500 millimes le dessin !


Il mènera cette expérience à cheval avec son boulot au ministère de l’Agriculture, qu’il quittera quelque temps après.
Mais ce qui a surtout fait son succès dans notre journal et qui l’a fait connaître à un large public, c’est «Point de mire», une rubrique sociale dans laquelle il illustrait, chaque dimanche, pendant quinze ans (sur deux périodes), les textes de Abdelhamid Gmati.
Chedly Belkhamsa a vécu plus de 20 ans dans le noir et blanc, mais heureusement que sa vie a été toujours colorée par ses succès ! La couleur n’a commencé qu’à partir des années 80. «Entre nous, je préfère de loin le noir et blanc dans les dessins de presse. Il est plus viril, il garde l’intensité critique. La couleur les rend décoratifs et illustratifs, elle les atténue», confie-t-il.
Si Chedly se définit comme dessinateur, ou illustrateur de presse, et non comme caricaturiste. Pour lui, son rôle ne consiste pas à déformer les figures humaines, mais bien à critiquer les comportements. «Chacun a le visage que Dieu le lui a donné. Moi, je tourne en dérision les attitudes et les situations», explique-t-il.
Ce qui fait la valeur des dessins de presse de Belkhamsa, ce n’est pas seulement la qualité des traits ou la justesse de la finition, c’est également et surtout l’opinion personnelle qu’il apporte à l’article, indépendamment, mais pas en contradiction bien entendu, avec le texte que ses dessins accompagnent. «Je fais une synthèse du papier et j’ajoute mon grain de sel », résume-t-il. Le dessin devient alors un article à part entière, un article dans l’article. D’ailleurs, ses dessins ne comportent pas la plupart du temps de texte et ne se basent pas sur la blague ou le jeu de mots. L’idée transparaît tout simplement de l’image. Il ne suffit donc pas de savoir dessiner, il faut être à la page, connaître l’actualité et surtout, être au courant de tous les points de vue. Il est tout autant important de maîtriser l’alphabet du non dit de la société à laquelle l’artiste s’adresse.
Toujours à propos de son métier, Si Chedly nous confie avec son humour habituel : «Ce que je fais, c’est du tout de suite consommable…comme un sandwich» ! Drôle de définition !
Tel père, telle fille. Sara, la fille aînée de Chedly Belkhamsa, par ailleurs une ancienne de «Jeunes La Presse» (2001) a l’air de prendre la relève. Apparemment, elle s’est introduite dans le domaine par les coulisses intégrant, à la grande surprise de son papa, l’Ecole des beaux-arts. Aujourd’hui, elle est doctorante et assistante. Quant à la petite Mariem, elle a choisi un autre chemin, elle sera bientôt expert comptable. Entouré de ses deux prunelles et de sa compagne de toujours, Mme Leïla Belkhamsa, Si Chedly continue de nous créer des dessins extraordinaires.
Asma A.

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